(temps de lecture : entre dix et quinze minutes)
Le présent article peut être lu comme une interview,
nos différents échanges ayant eu lieu exclusivement par mail
Voici comment tout a commencé...
J'ai fait la rencontre de Jacques suite à une question
à propos d'une carte postale présente sur un site
de mise aux enchères d'objets de collection
La carte postale était celle-ci :
Moi : "Bonjour. Est-ce que ce Géant couché faisait bien partie du
Bois des Contes de Fées de l'ancien Meli Park d'Adinkerke ?"
Jacques :"Oui, je le pense. Pour deux raisons : la première est que la carte renseigne explicitement le "Sprookjestuin" sur le revers. La seconde est que j'ai bien connu le Meli Park de 1945 à 1960 (il existe même une carte postale du golf miniature qui se trouvait en face de Meli, donc de l'autre côté de l'avenue de La Panne, où je figure avec mon frère) et je me souviens fort bien que ce Géant était couché dans le Bois des Contes de Fées. Mais il n'y était pas en permanence car je crois me souvenir qu'il était de temps à autre chargé sur une remorque qui le véhiculait à travers les villes côtières de La Panne à Nieuport (Nieuwpoort), et peut-être même plus loin, pour raison de publicité. Si je sais tout cela, c'est que mes grands-parents maternels habitaient à l'Avenue de La Panne, entre Meli et la gare, sur le même côté de la route, et que j'y ai passé trois mois de vacances par an de 1945 à 1960."
"J'ai justement retrouvé une photo qui peut illustrer votre propos, même si l'époque est apparemment plus récente."
"Oui, en effet la photo correspond bien à ce que je vous écrivais, à ceci près, c'est vrai, qu'elle est beaucoup plus récente que ce que j'ai connu dans mon enfance et ma jeunesse. La remorque pourrait être la même mais le "tracteur" était tout différent !"
"Quels sont vos souvenirs de la période que vous mentionnez (1945-1960) ?. Quelles sont par exemple les attractions qui étaient en place à ce moment ?"
"Avant 1950, il n'y avait pas de parc d'attractions à proprement parler. L'activité de Meli était centrée sur le miel et ses dérivés, surtout le pain d'épices. Des ruches se trouvaient de l'autre côté de l'Avenue de La Panne par rapport au bâtiment Meli...
...Et il y en avait encore, répandues à divers endroits dans les dunes et en d'autres endroits du pays. Lorsque le site d'Adinkerke a vu le jour avant la guerre, il imitait en quelque sorte un autre exploitant qui se situait sur la même avenue, trois ou quatre cent mètres plus loin en direction de La Panne. L'exploitation s'appelait "Moeder Lambic" (Lambic était une bière et Moeder signifie "Mère" en flamand) et qui avait une petite plaine de jeux pour enfants. Il existe toujours, mais s'est converti en restaurant où je vais souper chaque fois que je suis de passage à Adinkerke. Meli s'est donc érigé dans le même esprit mais Alberic-Joseph Florizoone a vu beaucoup plus grand."
"Quelles étaient les activités qui étaient proposées aux visiteurs ?"
"Déjà avant la guerre (et bien sûr dans les années qui ont suivi immédiatement la guerre), outre la vente de produits à base de miel il y avait des terrasses où les touristes pouvaient déguster une bière, des glaces, des crêpes et des gaufres (elles étaient au miel et succulentes). La principale attraction était un labyrinthe au fond duquel se trouvaient deux grands miroirs, l'un concave et l'autre convexe où les gens s'y miraient. L'un grossissait les personnes et l'autre les amincissait. Aujourd'hui, je pense que les gens sont trop blasés pour s'amuser encore avec de telles choses, mais à l'époque, que de rires lorsque des personnes déjà très fortes se regardaient dans le miroir grossissant (il faut dire que le résultat était parfois spectaculaire : ces gens y étaient plus large que haut !). Pour le reste, il y avait quelques balançoires pour enfants, sans plus."
le labyrinthe, au fond |
"Vous avez évoqué tout à l'heure votre présence sur une carte postale du golf miniature, avec votre frère."
"Oui, c'est celle où vous voyez deux enfants jouant au golf, en deuxième plan...
...Je suis celui portant le sweater rose, tournant le dos, attentif à mon "coup". Mon frère, de face, est en sweater bleu."
"Oui. Je ne sais d'ailleurs comment Alberic-Joseph Florizoone a fait l'acquisition d'un ours brun, de la taille d'un âne. Il était dans une cage bétonnée, adossée au bâtiment principal, murée latéralement en briques et ouverte vers le public à travers une solide grille. Une barrière métallique empêchait de s'en approcher tout près. L'ours a bien vécu trente ans derrière ses barreaux, et a eu d'emblée un gros succès, non seulement auprès des enfants mais aussi des adultes...
...Que de fois ne l'ai-je pas regardé, avec un peu de pitié, déambuler dans sa cage ! Il avait la démarche un peu dansante des ours des Carpathes, et arrivé au mur (aussi bien à gauche qu'à droite de sa grille) il balançait verticalement la tête entre le dernier barreau et le mur de briques qui était, croyez-moi, creusé sur plusieurs centimètres par le frottement de son museau. Car il était à peine arrivé à un bout, et avait hoché deux ou trois fois de la tête, qu'il repartait vers l'autre extrémité. Si je ne me trompe pas, la cage devait avoir entre quatre et six mètres de largeur. Il ne s'arrêtait que pour happer distraitement une friandise que lui lançaient les enfants. Je pense que le succès de cet ours a inspiré à A.J. Florizoone l'idée de faire un parc animalier. Ce n'était pas vraiment un parc ornithologique, même s'il y avait des oiseaux de grande taille capables de rester sur place sans volière. Il y eut donc des flamants, des pélicans, des paons, mais aussi nombre de mammifères : daims, biches et animaux exotiques de taille petite à moyenne."
"Est-ce qu'Alberic-Joseph Florizoone était souvent présent au parc ? Pouvait-on facilement le rencontrer, lui parler ?"
"Oui, quoiqu'il n'y était pas à demeure, A.J. Florizoone était souvent au parc. Je l'ai bien connu. Maman, mon frère et moi nous rendions presque quotidiennement à la plage, distante de quatre kilomètres, et il est arrivé qu'il quittât Meli au moment où nous passions. S'il allait vers La Panne, il ne manquait jamais de nous proposer de nous charger, ce que nous avons maintes fois accepté avec reconnaissance. C'était moins fatigant pour Maman et cela nous amenait plus rapidement à la plage et à nos jeux."
"Le bâtiment principal comportait une salle de conférences dans laquelle A.J. Florizoone transmettait régulièrement son savoir aux visiteurs. Avez-vous assisté à une de ses conférences ?"
"Je n'ai pas eu cette chance car ses conférences étaient d'un niveau technique trop élevé et peu intéressant pour un enfant de mon âge. Par contre, j'ai assisté plus d'une fois aux explications adaptées aux enfants qu'il donnait dans une des salles d'exposition des produits Meli, devant une ruche transparente (je suppose qu'elle était en plexiglass) où l'on voyait parfaitement les abeilles agglutinées. La Reine y était marquée d'une grosse tache colorée. Je me demande si ce n'est pas cette ruche-là qui était désignée sous le nom de "Wonderbare Bijenkorf", mais je n'en suis plus sûr. Remarquez que j'écris wonderbare plutôt que wunderbare : le premier mot est flamand, le second dit la même chose, mais en allemand. En français, l'expression signifie "ruche merveilleuse" (note du webmaster : en fait l'attraction Wonderbare Bijenkorf était un spectacle sur les abeilles, présenté dans le pavillon Meli au cours de l'Exposition Universelle de Bruxelles en 1958. C'est tout simplement l'ancêtre de l'Apirama).
"Revenons un instant sur les autres activités présentes à Meli."
"Je me souviens qu'il y avait quelquefois ce que l'on appellerait aujourd'hui des animations à Meli : jets d'eau lumineux et dansants, sur une musique diffusée à haut volume, avec parfois ensuite un feu d'artifice...
...Enfants, notre argent de poche ne nous permettait pas d'entrer dans le Meli Park pour y être mieux installés. Alors nous allions nous poster sur le Palingbrug (une sorte de pont) et regardions ce que nous pouvions apercevoir de la fête. Vous êtes en droit de me qualifier de resquilleur... Sinon j'ai le souvenir qu'on parlait souvent le Néerlandais à Meli, et aussi une sorte de dialecte Ouest-Flamand."
"Vous venez d'évoquer la difficulté qu'avaient les enfants pour visiter Meli, en dépit de l'argent de poche. Justement, combien coûtait un billet d'entrée au Meli d'Adinkerke dans les années 50 ?"
"Il y avait divers prix et je ne pourrai certainement pas vous donner des chiffres précis. Au début, l'entrée à Meli, c'est-à-dire aux terrasses et au hall d'exposition était gratuite si mes souvenirs sont bons. Car en réalité, les touristes y consommaient ou y achetaient des produits Meli...
...On pouvait, toujours gratuitement, voir l'ours en cage. Il me semble qu'au début des années 50, le prix d'entrée au mini-golf avoisinnait les trente francs belges (un pain d'un kilo coûtait alors un peu plus de 6 francs). Le prix d'entrée au Meli Park (qui était dans les années 50 considérablement moins étoffé qu'il ne le fut par la suite) coûtait moins cher (oserais-je dire vingt francs ?) et l'entrée au labyrinthe devait coûter quelque chose comme trois francs. En soirée, lorsqu'il y avait concert avec fontaines dansantes et parfois feu d'artifice, l'entrée au Meli Park coûtait un peu plus...
...Précedemment je vous ai dit que j'essayais de voir les choses de l'extérieur, très exactement depuis le palingbrug (mot flamand qui signifie "pont de l'anguille'). C'était un endroit de l'Avenue de La Panne, situé un peu plus vers La Panne que ne l'était le grand parking, et qui devait son nom au fait que l'avenue enjambait à cet endroit un petit canal qui portait (et porte toujours) le nom de "Langelei", et qui était riche en belles anguilles."
"Vous avez évoqué plus haut les jets d'eau lumineux et dansants, avec une musique qui était diffusée. Avez-vous connu ce spectacle à ses débuts ? Si oui, pouvez-vous m'en dire plus ? Et pouvez-vous m'indiquer la différence entre ce spectacle et l'Aqua Laser Show ? (instauré en 1996 à Meli Park)."
"Je pense en effet avoir connu le spectacle des jets d'eau lumineux et dansants à son début. Le show se déroulait effectivement sous une musique de circonstance, et était relativement court : je dirais dix à quinze minutes. Il était présenté plusieurs fois dans la journée, avec une musique et des effets lumineux différents. Je vais essayer d'être clair : si vous vous placiez sur la terrasse Meli, que vous tourniez le dos à l'Avenue de La Panne, vous aviez alors le bâtiment initial de Meli à votre droite, et devant vous le labyrinthe. A gauche, on avait le gigantesque (pour l'époque) parking. Le Meli Park avec ses maisonnettes, ses flamants roses et ses jets d'eau était situé à droite du bâtiment et plus en profondeur par rapport à lui...
...Mais je dois vous préciser une chose : en octobre 1955, je commençais des études de physique à l'Université de Louvain et je ne suis plus jamais allé à Meli depuis lors. Mais il est vrai que de l'extérieur, en passant, j'ai encore vu son développement au cours des années 1955 à 1960. Si j'ai "côtoyé" (pour ainsi dire) Meli de 1945 à 1960, je n'en fus vraiment "visiteur" que de 1945 à 1951 ou 1952 au plus tard. Après cette courte époque, je préférais les longues balades à vélo et n'allais d'ailleurs plus à la plage. Je n'ai par exemple jamais connu le Jardin (ou Bois) des Contes de Fées, qui a ouvert en 1954. Lorsque vous me parlez de l'Aqua Laser Show en 1996, c'est donc vous qui m'apprenez des choses et me plongez en terra incognita !".
"Pour rester dans les sons et les mélodies, y avait-il une ambiance musicale à Meli ? Pouvait-on entendre des effets sonores ou de la musique dans le labyrinthe, au niveau des terrasses et des jardins, ou même dans le bâtiment principal (le Palais des Abeilles) ?"
"Oui, en effet il existait une ambiance musicale qui était parfaitement audible où que l'on soit dans le Meli des premiers temps, grâce à des diffuseurs qui étaient disséminés sur l'entièreté du site. On entendait la musique sur les terrasses, dans le labyrinthe et fatalement aussi sur l'Avenue de La Panne. Tous les genres étaient représentés : depuis la musique d'opérette jusqu'à la musique classique en passant par les chansons à succès de l'époque. Je me souviens comme d'hier avoir dansé avec ma cousine, à l'âge de dix-douze ans, la "Danse du Spirou" dans l'enceinte Meli à la fin des années 40. Peut-être même aurais-je encore quelque part une photo de cet épisode."
"Pour terminer, par quel(s) moyen(s) de transport pouvait-on se rendre à Meli ?"
"Eh bien, figurez-vous que je suis tombé dernièrement sur deux cartes postales représentant l'Avenue de La Panne, datant des années 50 il me semble. Elles montrent qu'il n'y avait déjà plus de rails de tramway. Je sais qu'à une certaine époque (mais je pensais que c'était un peu plus tard) le tramway a été remplacé par un service d'autobus, et n'a fait sa réapparition qu'à la fin des années 80, ou au début des années 90 (encore que je n'ai pas suivi cela à l'époque).
Je dois avouer que ma connaissance de Meli est vraiment une connaissance des débuts (dans la mesure où les toutes premières années après-guerre ressemblaient fort à celles d'avant-guerre, en ce qui concerne Meli du moins). Je pourrais le dire différemment : j'ai abandonné mes visites occasionnelles à Meli au moment où les toutes premières cartes postales en couleurs étaient publiées. Je reconnais mieux le Meli des cartes postales en noir et blanc, plus anciennes, mais j'ai décroché lorsqu'est arrivée la suite. Je crois pouvoir dire que la carte postale du mini-golf (où je me trouve) a été prise lors de mon ultime visite à Meli.
J'ai découvert fortuitement, dans les "affaires de famille", une photo de Maman prise par Papa le vendredi 7 août 1936 à 10h25 (Papa était ultra-méticuleux en ce qui regarde la localisation spatiale et temporelle des photos qu'il prenait, et il en a pris des milliers durant la période 1931-1935), à l'Avenue de La Panne...
...Vous y distinguerez le Meli de 1936. Certes, Meli n'était pas le sujet que Papa s'était proposé comme objectif, mais bien Maman, de sorte que Meli n'y apparaît que très accessoirement et partiellement, mais peut-être est-ce mieux que rien. Je ne sais pas s'il existe beaucoup de documents photographiques, même partiels, de Meli à l'âge d'un an. En outre, cette photo montre aussi la route telle qu'elle était à l'époque. Vous remarquerez que derrière les saules qui bordent la route, on discerne vaguement un étroit chemin bétonné : c'était une piste cyclable. Elargie et aménagée, elle existe toujours aujourd'hui au même endroit et joint la gare d'Adinkerke à l'entrée de La Panne."
"Mille mercis pour cette photo. D'après le livre autobiographique "Meli, mijn leven", A.J. Florizoone explique que les premiers travaux ont débuté au Printemps 1934. Meli a ensuite ouvert au public le jour de Pâques en 1935. C'est donc un vrai trésor que vous me permettez de publier car je pense aussi que les chances de retrouver une photo de Meli dans ses toutes premières années sont très très minces."
"En tout cas je vous remercie de m'avoir envoyé quelques photos également. Certaines m'ont reporté plus de soixante ans en arrière et m'ont fait rêver, surtout celles en noir et blanc, et celles du mini-golf Tom Thumb. J'ai aussi pu revoir l'ours Teddy. Je les regarderai de temps en temps, du regard attendri que l'on peut avoir pour les choses d'un passé déjà lointain que l'on a connu et tant aimé. De même que je retourne de temps en temps sur votre site, qui est très riche, bien fait et duquel je ne me lasse pas. Je dois désormais vous laisser. Il se fait que je suis organisateur d'un Congrés qui doit se tenir prochainement, et je ne vous cache pas que le travail est substantiel !
J'ai cependant une dernière requête à vous faire : dans votre site je suis tombé sur la photo d'un jeton Meli en plastique, récompensant sans doute un coup chanceux à l'une ou l'autre roulette, ou autre jeu. Je me suis laissé dire, voilà quelques années, qu'auraient aussi existé des jetons métalliques "Meli". Ce bruit courait parmi les amateurs de jetons dits de nécessité. L'homme qui m'en a parlé était un habitant de Coxyde qui en avait lui-même entendu parler mais n'en avait jamais vu, et qui ignorait complètement à quoi ces jetons avaient servi. En avez-vous déjà vu ? Si vous veniez à être en possession de quelques-uns de ces jetons métalliques, je serai très heureux de pouvoir vous en acheter un de chaque sorte, étant collectionneur des jetons privés métalliques qui ont été assez abondamment utilisés avant la seconde guerre mondiale."
"C'est avec grand plaisir que je vous recontacterai si jamais j'ai la chance d'entrer en possession de quelques jetons de ce genre. Un grand merci en tout cas pour vos souvenirs, c'est un précieux témoignage du Meli de l'après-guerre."
J'espère que cet article vous a plu !
Vous pouvez désormais fermer les yeux et imaginer
faire comme à l'époque : installez-vous sur la terrasse,
près de l'étang, et observez toute l'effervescence du lieu,
les visiteurs qui entrent et sortent du labyrinthe,
les enfants criant et s'amusant sur les balançoires,
les gens assis sur les terrasses en hauteur,
le ballet des serveuses, et cette musique
d'opérette qui respire la bonne humeur...
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